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Horizon Mer : Méthodes et Pratiques Scientifiques au lycée François-René de Chateaubriand - Rennes
7 mars 2016

La station biologique de Roscoff : une résidence d'artistes, qui permet de comprendre l'évolution de la biodiversité

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Entre 1910 et 1912, le grand artiste et naturaliste Mathurin Méheut réalise 400 aquarelles, 2000 croquis,100 toiles, 200 dessins sur la faune littorale lors de son séjour à la station biologique de Roscoff à l'invitation du professeur Lacaze-Duthiers pour son œuvre : L'étude de la Mer qui dresse un inventaire de la faune et de la flore marine locale.

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État des lieux un siècle plus tard

Visite imaginaire de Mathurin Méheut au XXIe siècle

 

En arrivant à Roscoff où peu de choses ont changé, Mathurin Méheut n'a aucun mal à retrouver la direction du laboratoire. Par contre, au lieu d'emprunter les petits chemins de terre serpentant entre les courtils voués à la culture maraîchère, il se contente de suivre les rues goudronnées bordées de pavillons. Si la partie du laboratoire qu'il a connue est entièrement rénovée, il ne tarde pas à retrouver la grande salle des aquariums où il a passé tant d'heures et attrapé tant de rhumatismes. De nombreux chercheurs et étudiants très affairés circulent dans les allées du jardin clos, témoignant d'une intense activité. Le laboratoire est devenu une ville dans la ville, englobant du même coup les anciens hôtels où l'attend son logement.

Mathurin Méheut s'empresse d'aller reconnaître la petite cité nichée autour de son port, se remémorant les paroles de Beauchamp en 1913 : « Hâtons-nous d'inventorier » la faune de l'herbier, herbier sur lequel a dû nécessairement empiéter le « nouveau » quai inauguré en 1920. Mathurin Méheut constate que ce port d'échouage héberge de grands caseyeurs (6 ou 7), des fileyeurs (5 ou 6) de construction plus récente, embarquant des kilomètres de filets et pouvant opérer loin de leur port d'attache, ainsi que de multiples bateaux de taille plus réduite. Se rappelant alors qu'en 1910 le port ne comptait que trois grands cordiers, Méheut se renseigne sur les activités de pêche actuelles. Il apprend ainsi que toute l'activité de mareyage est dotée d'une criée moderne et que l'ensemble est regroupé avec le port des ferries qui assure un intense trafic trans-Manche.

Une grande partie de la côte est de Roscoff a ainsi été arasée, les falaises aplanies, les criques comblées …

Nombre de cuvettes des milieux battus et une partie des champs de laminaires et d'herbiers ont disparu, économie moderne oblige.

En revenant vers le laboratoire, Méheut continua vers l'ouest le long de l'Aber. L'urbanisation s'ets développée considérablement, notamment au bénéfice d'installations hospitalières et de thalassothérapies. Nombre d'émissaires s'ouvrent sur les plages et, localement, les sables de cette baie sont devenus bien vasards. Le chenal central de l'Aber, toujours en eau à basse mer, qui assurait un échange avec le marais maritime endigué et jouait le rôle de chasse d'eau, n'a plus la même efficacité. Le marais dont le rôle est d'épurer les eaux qui y pénètrent à haute mer et de permettre la migration de juvéniles de poissons, a été en partie voué à l'agriculture et à la création d'un jardin public d'agrément. Par contre, le fond de l'Aber est partiellement occupé par une espèce de Spartine invasive, créant ainsi, petit à petit un nouveau marais.

La mer étant descendante, Méheut se rend vite compte qu'une différence essentielle existe avec ce qu'il a connu. Qu'est devenu l'herbier situé juste sous le laboratoire et ses immenses étendues, « ces prairies passées au rouleau » comme l'écrivait Beauchamp ? Elles étaient continues de la pointe ouest de Roscoff (Perharidy) à la pointe de Bloscon à l'est.

Poussant plus loin son exploration sur les plages dunaires à l'Ouest de Roscoff, Méheut est aussi surpris de constater que l'étendue et l'épaisseur des laisses de mer, en haut de plage mais aussi localement à mi-marée, sont impressionnantes. Algues vertes, brunes et rouges restent entassées et pourrissent sur place, ce qui signifie que les pratiques agricoles locales ont dû bien changer.

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Peut-on raisonnablement estimer les pertes de biodiversité sur ce site déclaré prestigieux à ce titre ? Une première question vient tout de suite à l'esprit : certaines modifications sont-elles dues aux changements climatiques intervenus depuis un siècle ?

 

 

La diversité littorale aujourd'hui

 

La régression de l'herbier à Zostères (Zostera marina) reste ainsi le fait le plus marquant des changements intervenus dans le secteur de Roscoff. La carte de Joubin établie en 1908 montre bien la couverture, continue entre Roscoff et l'île de Batz, de ces herbiers qui, à partir du niveau de la mi-marée, descendaient jusqu'à 10 à 12 mètres de profondeur à l'est de l'île. Ces vastes prairies, il n'est pas inutile de le rappeler ici, sont avant tout des zones refuges et des aires de ponte pour les seiches, les épinoches et autres familles spécifiques de poissons.Les jeunes morues, les saints-pierres … abondaient. Quant au feutrage (matte) que constituent les rhizomes et les racines, il pouvait atteindre 30 centimètres d'épaisseur. Il était alors apte à résister aux fortes tempêtes. A la surface de cette matte s'installaient nombre d'éponges et d'ascidies... et la faune enfouie témoignait de la stabilité de ces sols d'âge séculaire. Parfois l'hydrodynamisme puissant, dans le chenal de l'île de Batz par exemple pouvait creuser des cuvettes rapidement occupées par les Halidrys et les Cystoseires, qui servaient alors de support à de nombreuses espèces. C'est ce qui fit la réputation des premiers cherchurs du laboratoire travaillant sur les ascidies : Lacaze-Duthiers et Giard en dénombrent une vingtaine d'espèces sous les rochers et une vingtaine d'autres sur les algues. De même les comatules sont récoltées en abondance par Perrier (plus de 300 exemplaires entre « deux marées »). Dans ces mêmes cuvettes, on pouvait aussi fréquemment trouver des coquilles Saint-Jacques !

La disparition drastique des herbiers commence en 1931-1932et l'on sait aujourd'hui que les années 1930-1934 ont été des années chaudes durant le millenium passé. Le changement climatique explique la disparition d'une espèce d'affinité froide, et l'épizootie constatée peut être considérée non pas comme la cause mais la conséquence de l'affaiblissement de l'espèce. Des études de suivi sur la reconstitution de l'herbier montrent qu'il faut plusieurs décennies avant qu'il ne se rétablisse durablement. Parfois, les premières étapes de reconquête, à la faveur d'années froides par exemple, ont pu faire illusion, car ce sont des stades pionniers, au futur imprévisible. Aujourd'hui, l'herbier existant ne découvrent qu'aux grandes marées de vives-eaux, à un niveau où les tempêtes peuvent le mettre à mal en le perforant de cuvettes. L'explication climatique n'est certes pas la seule, la qualité des eaux peut sans aucun doute être évoquée car la restauration semble plus rapide sur les lieux moins urbanisés. N'oublions pas non plus le rôle des herbivores très spécialisés comme les oies bernaches qui, il y a un siècle, étaient vraisemblablement moins nombreuses sur nos côtes. Par manque d'herbier à consommer, elles semblent aujourd'hui plus généralistes du point de vue alimentaire.

Un deuxième habitat de haute diversité spécifique a subi des préjudices graves par exploitation directe, il s'agit des bancs de maërl. Il existe toujours en petites taches localisées au sein de massif rocheux, c'est-à-dire là où l'exploitation est risquée pour les navires extracteurs de plus en plus nombreux et efficaces. Ainsi, disparaissent peu à peu de véritables « oasis » de diversité. Ces bancs d'architecture complexe, refuge de nombreuses espèces, constituent de véritables « éponges à diversité » à partir desquelles les fonds voisins peuvent être recolonisés. L'extraction se traduit par la destruction pure et simple de l'habitat. De plus, en abaissant son niveau d'immersion, l'algue a de moins en moins de lumière et ainsi peu de chance de se redévelopper. L'extraction se traduisant par une large zone de turbidité, tous ces facteurs empêchent le banc de se reconstituer. C'est une ressource non renouvelable compte tenu du temps de croissance de l'algue. L'abondance des individus hébergés est très variable d'un site à l'autre ; en revanche les bancs de maërl de la baie de Morlaix, du moins ce qu'il en reste, sont parmi les plus riches de Bretagne avec 150 espèces présentes simultanément par mètre carré. L'exploitation du champ de laminaires existe depuis le début du XIXe siècle et la mécanisation des bateaux goémoniers ne s'est développée que dans le dernier quart du XXe siècle. Cette exploitation fait l'objet d'un suivi scientifique et repose essentiellement sur Laminaria digitata qui, en tant qu'espèce froide, n'est pas à l'abri de l'augmentation des températures estivales ou des modifications du rayonnement solaire. La preuve est que sa population a régressé de 1997 à 2001. Dans l'état actuel du suivi, la baie de Morlaix semble cependant moins affectée que d'autres secteurs (Bretagne Sud, baie de Seine). La diversité globale de cet habitat ne semble pas amoindrie, même si l'espèce majoritairement exploitée risque d'être remplacée par une espèce compétitrice.

Les Fucales ont été utilisées depuis la fin du XVIIe siècle, en fonction du droit coutumier, afin de répondre aux besoins de l'agriculture. Cette production du goémon de rive s'est effondrée après la guerre, lorsque l'industrie chimique a inventé les engrais.Les cultivateurs léonards ont cessé leur coupe manuelle des Fucus et Ascophyllum, préférant d'autres modes d'amendement. De nos jours, ce goémon de rive est très peu utilisé, aussi la production de ces fucales vient-elle enrichir, avec les laminaires et toutes les autres algues, les laisses de mer de haut de plage. Elles sont à la base de la nourriture d'une multitude de petits crustacés, comme les puces de mer, elles-même consommées par des juvéniles de poissons. Ce sont des bars, des lieus, des plies … sans oublier les foules d'oiseaux qui fréquentent ces plages. C'est pourquoi un nettoyage intensif des plages n'est guère souhaitable dans le cadre du maintien de la biodiversité. Cette importante biomasse algale, non prélevée par l'homme de nos jours, est ainsi mise à la disposition de ces multitudes de mangeurs de détritus végétaux. Cet afflux de matière organique, en favorisant un certain de maillon de la chaîne alimentaire, modifie notablement le fonctionnement de l'écosystème de ces plages. Les conditions étaient nécessairement différentes à l'époque où Méheut arpentait les grèves. A titre d'exemple, le risque de marée verte était totalement inconnu.

La biodiversité actuelle est aussi fonction de ce qu'ont pu être les activités de pêche. Les moyens ont changé ainsi que les espèces ciblées. Dans l’œuvre de Méheut, le port de Sieck est représenté avec des navires langoustiers. Cette pêcherie de langouste rouge a disparu depuis bien longtemps. L'activité du port de Roscoff reposait sur ses cordiers et la pêche au tramail. Ces modes de pêche, florissant entre les deux guerres, eurent pour effet d'écrêter le sommet de la chaîne alimentaire. Ce sont essentiellement les Sélaciens, ces grands prédateurs, particulièrement vulnérables du fait de leur mode de reproduction (fécondation interne, peu d’œufs, espèces vivipares) qui ont progressivement disparu de l'écosystème : pocheteaux, torpilles, pastenagues, aigles de mer, anges de mer, aiguillats, émissoles, milandres …

Seules certaines espèces de raies et de roussettes sont encore des prises quantifiables, mais sans grand intérêt commercial. Quant à la taille moyenne de capture, pour l'ensemble des espèces, elle est bien inférieure à celle qu'elle était autrefois, ce qui est bien la caractéristique des populations surexploitées.

 

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Ceci eut nécessairement pour conséquence la mise à disposition d'une biomasse de proies à un niveau inférieur du réseau trophique. Il y a là sans doute une explication plausible à la relative abondance, durant la seconde moitié du XXe siècle, de bars, de gadidés tels le lieu, la morue, le tacaud, la julienne. A titre d'exemple, cette dernière espèce était signalée comme exceptionnelle entre les deux guerres dans le secteur de Roscoff. De même, le merlan, relativement rare à l'époque, est devenu de plus en plus fréquent aujourd'hui.

Les moyens de capture ont considérablement évolué, la motorisation est intervenue, la présence de pêcheurs plaisanciers s'est accrue et, face à ces nouveaux comportements humains, il est illusoire de penser que cela n'a pas de conséquences sur le fonctionnement sur la biodiversité de l'écosystème.

Partant de ce voyage de Méheut, il n'est pas aisé de répondre à la question : qu'est devenue la biodiversité observée par l'artiste un siècle plus tard ?

Changements climatiques, modifications des activités anthropiques, tant en mer que sur le littoral adjacent, sont donc capables de détériorer certains habitats ou d'en modifier la richesse en espèces. A titre d'espoir et de façon quelque peu contradictoire, dans ce secteur bien inventorié et en se basant sur des données qui ont déjà une centaine d'années, la richesse spécifique semble assez peu affectée, hors des populations halieutiques. Plus évidente est la dégradation des habitats, en surface te en qualité. C'est notamment le cas des habitats complexes comme les herbiers ou les fonds de maërl. L'abondance des espèces dans un secteur donné se trouve ainsi amenuisée car, de fréquentes, elles deviennent rares. Les habitats concernés peuvent être considérés comme les reliques d'une richesse spécifique passée. Ceci survient parallèlement à l'homogénéisation des faciès sédimentaires sous l'action des atteintes anthropiques et altère aussi nécessairement le fonctionnement des chaînes alimentaires comme nous l'avons vu. Si aujourd'hui les écologistes marins sont aptes à estimer les pertes des habitats ou de leurs habitants, évaluer les changements intervenant dans le fonctionnement des écosystèmes reste encore une gageure. Le rôle de chaque espèce dans un système où elle vit peut-il être précisé ? Le fait de pouvoir identifier plusieurs espèces assurant une fonction, qui apparaît identique, est-il une chance pour l'avenir ? Tout cela reste à démontrer et c'est tout l'enjeu du maintien de la recherche sur la biodiversité. Mathurin Méheut, encadré par des professionnels de la zoologie ou initiateurs de l'écologie, a consacré ses multiples talents. à observer, comprendre et transcrire. En décrivant à sa façon la biodiversité, il fut un précurseur. Ses représentations -qui pouvaient apparaître comme ponctuelles dans le temps- sont devenues des outils de référence et apportent une aide indispensable à la compréhension du fonctionnement des systèmes littoraux à l'écologiste du XXIe siècle.

 

Michel Glémarec

La Biodiversité littorale vue par Mathurin Méheut

Solus Locus 2015

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Commentaires
Horizon Mer : Méthodes et Pratiques Scientifiques au lycée François-René de Chateaubriand - Rennes
  • mise en valeur de la biodiversité littorale bretonne et du patrimoine scientifique et maritime dans le cadre de l'enseignement d'exploration "méthodes et pratiques scientifiques" de la classe de seconde 5 du lycée François-René de Chateaubriand à Rennes
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